• Qu'est ce qu'un être?

    Conscience de l'homme

    Qu’est-ce qu’un être ?

    Qu'est ce qu'un être?

    Ce texte a été envoyé par Phra kitthivetho 

    Qu'est ce qu'un être?

     La réunion de cinq agrégats impermanents

    L’« être » est la réunion concomitante, d’instant en instant, de cinq agrégats (khandhā), ensembles non essentiels et non permanents constitués en proportions variables d’éléments eux-mêmes non permanents et non essentiels : un agrégat de matière (rūpa, la « forme ») et quatre agrégats d’esprit (nāma – la traduction littérale de ce mot est riche de sens : « ce qui nomme » ; l’esprit est ce qui découpe et étiquette la réalité en choses et en êtres), tous en perpétuel renouvellement.

    L’intérêt de la classification de l’être en éléments qui peuvent eux-mêmes être décomposés est de favoriser une exploration méditative du corps et de l’esprit écartant l’illusion et la prétention égocentriques : cette exploration permet de découvrir qu’il est impossible de trouver quoi que ce soit de mental ou de physique pouvant être le « Soi » immuable auquel s’accrochent si avidement les êtres, encouragés par la religion des brâhmanes.

    Les élèves à guider saisissent les agrégats comme un attā parce qu’ils ne les ont pas analysés. Le Bhagavā a désiré les délivrer de cette saisie en leur montrant que l’ensemble psycho-physique était dépourvu de compacité (…)

    Pourquoi le Bhagavā a-t-il mentionné cinq agrégats, ni plus ni moins ?

    Pour trois raisons : cela permet de regrouper les formations de même nature ; il y a au maximum cinq types d’objets que l’on peut saisir comme « moi » ou « mien » ; et ces cinq agrégats contiennent les autres agrégats.

    Cette exploration permet également de découvrir que pas un de ces agrégats ne survit à la mort et que, par conséquent, aucun d’eux ne peut être considéré comme l’entité qui, sous la forme d’une âme ou de quoi que ce soit d’autre, migrerait d’existence en existence :

    L’esprit et la matière se combinent et s’appuient l’un sur l’autre.

    Quand l’un se brise, les deux se brisent, car ils sont liés.

    Il n’y a pas de réserve des éléments détruits

    Ni de magasin des éléments futurs,

    Et les éléments présents sont instables

    Comme des graines posées sur la pointe d’une aiguille.

    On met en évidence la dissolution des éléments (dhammā) présents,

    Lesquels sont destructibles et ne se mélangent pas aux précédents.

    On ne voit pas d’où ils viennent, ni où ils vont une fois détruits ;

    Ils apparaissent comme des éclairs dans le ciel puis disparaissent.

    L’agrégat de la matière

    Contrairement aux penseurs indiens classiques qui croyaient en l’existence ultime d’un atome indivisible, le Bouddha analysa ce soit disant élément indivisible et démontra qu’il ne pouvait être lui-même que la manifestation de forces, d’énergies en interrelation. Il est important de souligner que, pour le bouddhisme des Therā, ces forces ont une réelle existence ultime (paramattha) : il existe bien, en deçà des conventions issues des illusions humaines (ou divines), une réalité physique fondée sur des éléments ou propriétés primaires (dhātū).

    Ces « grandes formes de base de la matière » (mahā-bhūta-rūpa) sont au nombre de 4.

    1) L’élément de solidité et d’extension (pahavī-dhātu) : c’est le substrat de la matière, sans lui, les objets ne peuvent occuper d’espace ; cet élément est présent à la fois dans la terre, dans l’eau, dans le feu et dans l’air. L’élément solide donne à la matière une consistance variant de la dureté à la mollesse ; plus l’élément solide prédomine, plus l’objet est ferme. Il est également l’élément d’extension en raison duquel les objets occupent de l’espace. Cet élément a pour fonction de soutenir, de supporter les autres phénomènes matériels.

    2) L’élément de cohésion (āpo-dhātu) : c’est l’élément déterminant de la cohésion des atomes constituant la matière, qui leur évite de se disperser et leur donne une forme ; c’est lui qui, par exemple, donne l’idée d’un corps.

    3) L’élément de chaleur (tejo-dhātu) : il englobe également son complément, le froid ; l’un et l’autre constituent l’énergie vitale qui mûrit les corps, favorise leur conservation et entraîne leur destruction.

    4) L’élément de mobilité (vāyo-dhātu) : les mouvements d’expansion et de contraction sont engendrés par cet élément, regardé également comme la force qui engendre la chaleur.

    Ces quatre éléments sont en interrelation constante, mais l’un des éléments peut être prépondérant ; ainsi l’élément d’extension est dominant dans la terre, l’élément de cohésion dans l’eau, l’élément de chaleur dans le feu et l’élément de mouvement dans l’air ; ces prédominances expliquent que ces quatre éléments soient souvent (et de manière inexacte car oubliant leur interdépendance) étiquetés comme les éléments « terre », « eau », « feu » et « air » ; il n’existe aucune unité de matière qui ne contienne ces quatre éléments dans des proportions variables ; ce n’est que la prédominance d’un élément sur les trois autres qui confère sa caractéristique principale à une unité de matière.

    Le terme dhātu, dans les textes bouddhiques, ne désigne pas seulement ces éléments primordiaux mais également les dix-huit éléments qui permettent de définir la totalité des phénomènes connaissables : les douze domaines psychosensoriels et les six types de conscience entrant dans le jeu de l’activité sensorielle (la conscience de la vue etc.).

    L’agrégat rūpa est souvent décrit comme l’ensemble des 24 éléments dérivés des quatre éléments fondamentaux :

    - les 5 organes physiques des sens (les facultés sensorielles de l’oeil, de l’oreille, du nez, de la langue et du corps) ;

    - les 4 éléments de stimulation (odeur, son, couleur, goût) ;

    - les 2 déterminants sexuels (femelle et mâle) ;

    - l’élément support de l’esprit ; à l’époque du Bouddha, il était généralement accepté que le siège de l’esprit se situait dans le coeur ; le Bouddha jamais n’affirma ou n’infirma cette thèse ;

    - l’élément vital (jīvitindriya) qui rend vivante la matière organique du corps ;

    - l’élément nutritif (āhāra rūpa) qui maintient, qui sustente le corps ;

    - l’élément d’espace (ākāsa dhātu) qui maintient à distance certaines unités matérielles et évite leur fusion ;

    - l’élément d’information (viññatti) corporel (kāya viññatti), responsable de la communication corporelle ;

    - l’élément d’information verbal (vaci viññatti), responsable de la communication verbale ;

    - 3 éléments altérables (vikāra rūpāni) : la flottabilité (lahutā), la flexibilité (mudutā), le rendement (kammaññatā) ; ces éléments étant responsables de l’activité, de la vigueur et de la santé du corps.

    - 4 éléments « de phase » (lakkhaṇa rūpāni) : l’émergence initiale (upacaya), le développement subséquent (santati), la dégénérescence (jaratā) et la cessation (aniccatā).

    Ainsi, la totalité de la matière, fondamentale, composant le corps comme extérieure à celui-ci, est-elle incluse dans « l’agrégat de la matière ».

    Ici encore, le but du Bouddha n’était pas de construire et d’enseigner une théorie, en l’occurrence une physique : son unique intention était de démontrer l’impermanence ultime de la matière comme de toute forme composée en tout ou partie de matière ; et surtout de nous permettre d’en tirer la principale leçon : il est vain de s’attacher à des choses dont l’existence est relative et soumise à de constants changements.

    Les élèves à guider saisissent les khandhā comme un attā parce qu’ils ne les ont pas analysés. Le Bhagavā a désiré les délivrer de cette saisie en leur montrant que l’ensemble [psycho-physique] était dépourvu de compacité. En cherchant leur intérêt, pour faciliter leur compréhension, il a d’abord énoncé l’ensemble des aspects physiques, lesquels sont des objets grossiers perceptibles par les sens physiques. Puis il a énoncé la sensation, qui accompagne les aspects physiques désirables et non désirables. Ensuite la perception, laquelle, en accord avec la parole « on perçoit ce qu’on ressent », saisit un aspect de l’objet perçu. Puis les formations mentales, car elles s’assemblent à la suite de la perception. Enfin l’état de conscience, dont la sensation, la perception et les formations mentales dépendent comme d’un maître.

    L’agrégat de l’esprit

    L’esprit (nāma) n’est lui aussi que la manifestation de forces en interrelation, d’états mentaux fugitifs en constante évolution. Le bouddhisme des Therā liste 52 états mentaux concomitants (cetasikā). Ces états, qui émergent et disparaissent avec la conscience, partageant ses objets et ses supports, sont répartis entre les quatre khandhā de l’esprit : les sensations, les perceptions, les formations mentales qui co-produisent la conscience.

    Les sensations (vedanā)

    Rappelons que l’Inde et le bouddhisme ajoutent à nos cinq sens, un sixième sens, l’esprit (mana) dont le domaine est constitué par les pensées ; les sensations sont donc aussi bien corporelles (kāyika vedanā) que mentales (cetasika vedanā). Les sensations sont traditionnellement réparties en trois catégories : agréables, désagréables et neutres ; les sensations plaisantes mènent l’être ordinaire à l’attachement, les sensations déplaisantes mènent à l’aversion, les sensations neutres mènent à l’ignorance.

    Les sensations naissent et disparaissent en un instant ; ces apparitions et disparitions se produisent en une succession si rapide qu’elles produisent une illusion de stabilité et de continuité ; seule la pratique de la méditation ouvre la capacité de pleinement dévoiler cette illusion ; tant que l’expérience de ce processus impersonnel d’apparition-disparition n’a pas été réalisée, nous sommes inévitablement conduits à croire que la sensation est le « Soi », ou que la sensation fait partie du « Soi », ou que le « Soi » naît de la sensation ; et ces croyances nous lient à la souffrance.

    Les perceptions (saññā)

    Elles opèrent la synthèse entre bases sensorielles et objets des sens ; la perception, c’est la prise de conscience des caractéristiques distinctives d’un objet ; la perception est sextuple puisqu’en relation avec les cinq objets des sens (la couleur, le son, l’odeur, le goût, le toucher) et l’objet mental. C’est la perception qui nous permet de reconnaître un objet déjà perçu auparavant. Comme pour la sensation, la perception est un processus impersonnel qui apparaît et disparaît en un instant. Tant que la nature impermanente et impersonnelle de la perception n’est pas réalisée à travers la méditation, ici aussi des croyances erronées vont nous conduire à penser que la perception est le « Soi », ou que la perception fait partie du « Soi », ou que le « Soi » est nourri par la perception. Ce sont ces distorsions de la perception qui nous font confondre l’impermanent (a-nicca) avec le permanent (nicca), la souffrance (dukkha) avec le bonheur (sukha), le non essentiel (an-attā) avec l’essentiel (attā), le pur (subha) avec l’impur (a-subha). Ces distorsions, nées de l’ignorance, ont pour effet le désir, l’attachement et la souffrance.

    Les formations mentales (sakhārā)

    Ces formations sont regroupées par l’Abhidhamma en 4 catégories.

    A) Les facteurs mentaux communs à tous les états de conscience : les deux premiers sont 1) la sensation et 2) la perception, traités séparément ; leur ordre de présentation est sans signification dans la mesure où tous ces facteurs coexistent dans chaque état momentané de conscience.

    3) Le contact (phassa) – la mobilisation conjointe de l’organe des sens, de son objet et de la conscience correspondante.

    4) La volition (cetanā) – la volition désigne l'aboutissement du processus par lequel l'être humain use de la volonté ; la notion se rapproche de celle de « choix » ou d’« intention ». Pour le bouddhisme, nous le verrons, c’est la volition qui est le moteur de la loi du kamma puisqu’elle est à l’origine des actions corporelles, verbales ou mentales et de leurs conséquences.

    5) La concentration (ekaggatā) – l’orientation mentale vers un objet à l’exclusion de tous les autres.

    6) L’attention (manasikāra) – le fait pour l’esprit de se tourner spontanément vers l’objet qu’il lie aux facteurs mentaux qui lui sont associés.

    7) La vie psychique (jīvitindriya) – la force vitale supportant et maintenant les autres facteurs mentaux.

    B) Les facteurs mentaux particuliers, qui ne sont pas nécessairement présents dans chaque état de conscience :

    8) L’application initiale (vitakka) – qui applique les autres facteurs mentaux à l’objet quand l’attention se porte sur lui.

    9) L’application continue (vicāra) – qui permet aux facteurs mentaux de résider dans l’objet.

    10) La détermination (adhimokkha) – qui permet la décision et empêche les facteurs mentaux de se disperser et de divaguer.

    11) La persévérance (viriya) – qui vivifie les facteurs mentaux et s’oppose à la paresse.

    12) La joie (pīti) – qui permet de créer et de maintenir un intérêt pour l’objet.

    13) Le désir de faire (chanda) – le désir d’agir et celui d’atteindre le but fixé.

    C) Les facteurs mentaux communs ou particuliers qui sont, en eux-mêmes éthiquement indéterminés mais peuvent se révéler positifs, négatifs ou neutres en fonction de l’état de conscience dans lequel ils interviennent.

    Les facteurs mentaux négatifs sont au nombre de 14 ; les 4 premiers sont présents dans tous les états de conscience négatifs ; les 10 autres ont une présence variable.

    14) L’égarement (moha) – pour le bouddhisme, synonyme de l’ignorance des « quatre nobles vérités », c’est à dire de l’ignorance de toute la réalité que ces quatre vérités résument.

    15) L’absence de conscience personnelle (a-hirikā) – l’absence de honte en cas d’action négative.

    16) L’absence de conscience sociale (an-ottappa) – le relâchement moral et social provenant de l’ignorance de la loi morale.

    17) L’agitation (uddhacca) – l’état d’excitation qui caractérise tous les actes négatifs, contrastant avec la paix qui accompagne les actes positifs.

    18) La recherche du plaisir dans des objets conduisant à l’attachement (lobha).

    19) L’opinion fausse (diṭṭhi).

    20) La vanité (māna).

    21) L’aversion (dosa) – la réponse négative à un objet, de la plus petite touche de mauvaise humeur jusqu’aux formes extrêmes de haine.

    22) L’envie (issā) – l’incapacité de supporter le bonheur des autres.

    23) L’égocentrisme (macchariya).

    24) Les scrupules (kukkucca) – le regret pour les actes négatifs commis ou les actes positifs non commis.

    25) La paresse mentale (thīna).

    26) La torpeur mentale (middha).

    27) L’indécision (vicikicchā).

    Les « beaux facteurs mentaux » sont au nombre de 25 : 19 sont communs à toutes les pensées positives, 6 ont une présence variable ; ces derniers sont les 3 facteurs d’abstinence, les « deux illimités » et la sagesse.

    28) La confiance (saddhā) – la foi, ce qui signifie pour un bouddhiste croire a priori en la véracité des enseignements du Bouddha et en la valeur des « Trois joyaux », le Bouddha, le Dhamma et le Saṅgha.

    29) La vigilance analytique (sati) – ce qui nous permet, à chaque instant, d’être conscient de ce qui nous parvient à travers les cinq portes des sens et celle de l’esprit. La personne ordinaire agit sans vigilance, mue par l’habitude, la réaction ou la force. Ce facteur mental est en revanche l’une des clefs de la méditation du discernement (vipassana).

    30) La conscience personnelle (hiri) – la honte en cas d’action négative.

    31) La conscience sociale (ottappa) – la rectitude morale et sociale provenant de la connaissance de la loi morale.

    32) L’absence d’avidité (a-lobha) – c’est à dire la générosité.

    33) L’absence d’aversion (a-dosa) – synonyme de la bienveillance (mettā).

    34) L’égalité d’esprit (tatramajjhattatā) – la neutralité, libre de tout attachement et de toute aversion.

    Les « six paires », dont les premiers éléments affectent le « corps » des facteurs mentaux et dont les seconds affectent la totalité de l’esprit (citta) :

    35) La tranquillité des états mentaux (kāya-passaddhī)

    36) La tranquillité de l’esprit (citta-passaddhī)

    37) La légèreté des états mentaux (kāya-lahutā)

    38) La légèreté de l’esprit (citta-lahutā)

    39) La souplesse des états mentaux (kāya-mudutā)

    40) La souplesse de l’esprit (citta-mudutā)

    41) La vivacité des états mentaux (kāya-kammaññatā)

    42) La vivacité de l’esprit (citta-kammaññatā)

    43) L’habileté des états mentaux (kāya-paguññatā)

    44) L’habileté de l’esprit (citta-paguññatā)

    45) La rectitude des états mentaux (kāyujjukatā)

    46) La rectitude de l’esprit (cittujjukatā)

    Les « trois facteurs d’abstinence » :

    47) La parole correcte (sammā vācā) – l’abstention de tout mensonge, de toute injure et de tout bavardage inutile.

    48) L’action correcte (sammā kammanta) – le fait de ne pas ôter la vie, de ne pas voler, de ne pas abuser des plaisirs des sens.

    49) Le mode de vie correct (sammā ājiva) – le fait de ne pas avoir une source de subsistance fondée sur la souffrance des autres.

    Les « deux illimitées » :

    50) La compassion (karuā)

    51) La joie sympathique (muditā)

    Et enfin :

    52) La connaissance transcendante (paññindriya) – celle qui permet de voir les choses telles qu’elles sont, c’est à dire impermanentes, impersonnelles et sources de souffrance.

    La conscience (viññāa)

    La conscience n’est que l’effet de conditions :

    Il n’y a pas d’apparition de la conscience sans conditions.

    Ces conditions proviennent des six « portes des sens » :

    La conscience est nommée suivant la condition à cause de laquelle elle prend naissance : à cause de l’oeil et des formes naît une conscience et elle est appelée conscience visuelle ; à cause de l’oreille et des sons naît une conscience et elle est appelée conscience auditive ; à cause du nez et des odeurs naît une conscience et elle est appelée conscience olfactive ; à cause de la langue et des saveurs naît une conscience et elle est appelée conscience gustative ; à cause du corps et des objets tangibles naît une conscience et elle est appelée conscience tactile ; à cause de l’organe mental et des objets mentaux naît une conscience et elle est appelée conscience mentale.

    La conscience disparaît avec la disparition de ses conditions ; elle n’est donc pas une entité progressivement modelée par des conditions successives ; comme l’exprimait le commentateur Buddhaghosa :

    Un feu qui brûle à cause du bois, brûle seulement s’il a une provision [de bois], mais il meurt en ce lieu-même, s’il n’y a plus de condition, parce qu’alors la condition a changé (…) ; de la même manière, la conscience qui naît à cause de l’oeil et des formes visibles apparaît par la porte de cet organe des sens seulement quand apparaissent les conditions de l’oeil, de la forme visible, de la lumière et de l’attention, mais [la conscience] cesse ici et maintenant quand la condition n’est plus là, parce qu’alors la condition a changé ; mais la conscience ne passe pas à l’oreille et ne devient pas la conscience auditive (…).

    Ce point est fondamental car il évite, comme nous y pousse l’ignorance, de faire de la conscience « une sorte de lumière perpétuelle, neutre, immuable, qui brillerait là-même où il n’y aurait rien à éclairer », un substitut d’âme, une entité permanente qui constituerait le fil de notre existence, voire le fil de nos existences successives :

    S’il y avait un homme pour dire : je montrerai l’apparition, le départ, la disparition, la naissance, la croissance, le développement de la conscience indépendamment de la matière, de la sensation, de la perception et des formations mentales, il parlerait de quelque chose qui n’existe pas.

    L’énumération des dix-huit éléments empêche de prendre la conscience pour une âme. En effet la conscience n’est rien d’autre que le fait de connaître, mais certains hommes y perçoivent à tort une âme. Le Bhagavā, désireux d’abolir cette perception établie depuis trop longtemps, énumère les dix-huit éléments à seule fin de montrer que la conscience n’a pas d’unité et se divise en éléments de conscience (…) et que cette conscience est temporaire puisque son existence dépend de conditions.

    Le Canon cite l’exemple d’un bhikkhu nommé Sāti qui exprimait l’opinion que la conscience persiste à travers la chaîne des re-naissances, comme une sorte d’âme. Il fut rudement réprimandé par le Bouddha :

    De qui as-tu entendu, homme insensé, que j’ai expliqué le Dhamma de cette façon ? Homme insensé, n’ai-je pas de diverses façons déclaré que la conscience s’élève en dépendance d’autres choses ? Il n’y a pas d’apparition de la conscience sans conditions.

    Ce que nous appelons notre conscience et à laquelle nous souhaiterions tant raccrocher notre désir de permanence voire d’éternité n’est donc en réalité qu’un flot vertigineusement rapide d’unités de conscience successives.

    Ces unités de conscience se composent chacune de trois instants (khaā) : l’apparition (uppāda), le maintien (hiti) et la cessation (bhaga). Lorsqu’une unité de conscience cesse, c’est seulement pour donner naissance à une autre ; le moment de pensée qui suit n’est ni absolument le même que son prédécesseur – puisque sa composition n’est pas identique – ni entièrement différent – puisqu’il se situe dans sa continuité immédiate – ; selon les commentaires, chaque unité de conscience dure un milliardième d’éclair lumineux ; la conscience est donc une suite de moments de pensée dont le flux est si continu et si rapide que le voile de l’illusion nous la fait percevoir comme quelque chose de constant (« moi ») voire d’essentiel et d’éternel (« mon âme »).

    Il serait préférable, bhikkhū, que ce soit son corps, constitué des quatre éléments, que le laïque ignorant considère comme son « Soi », plutôt que son esprit. Parce qu’il est évident que ce corps peut durer au moins un an, deux, trois, quatre, cinq ou dix ans… ou même une centaine d’années et plus. Tandis que ce qu’on appelle la pensée, ou l’esprit, ou la conscience, naît et meurt continuellement, nuit et jour.

    Bhikkhū, comme les cinq agrégats naissent, se dégradent et meurent à chaque instant, vous même naissez, déclinez et mourez à chaque instant.

    Les rapports entre le corps et l’esprit

    L’esprit et le corps, nous l’avons vu, sont interdépendants ; ils apparaissent ensemble et ils disparaissent ensemble ; dans l’intervalle, ils interagissent et se confortent mutuellement :

    Quand deux bottes de roseaux sont appuyées l’une sur l’autre, chacune soutient l’autre. Si l’une tombe, l’autre aussi. De même, dans l’existence à cinq constituants (vokārā499), le psychique et le physique s’appuient l’un sur l’autre. Si l’un s’effondre suite à la mort, l’autre aussi.

    Les anciens disaient : « le psychique et le physique se combinent et s’appuient l’un sur l’autre. Quand l’un se brise, les deux se brisent car ils sont liés ».

    Le psychique est impuissant : ce n’est pas par son seul pouvoir qu’il apparaît et se manifeste dans telle ou telle action. Le physique aussi est impuissant : ce n’est pas de son propre chef qu’il apparaît et agit de telle ou telle façon. Mais plus rien ne les empêche d’apparaître et d’agir quand ils s’aident l’un l’autre.

    Naḷakalāpī-sutta (S/SAṂ II/1/7/n°67). Upamāhi nāmarūpavibhāvanā (VIS II/18/n°675). L’analogie du faisceau de roseaux est également utilisée pour illustrer la conditionnalité étroite de la conscience et de l’ensemble psycho-physique – 

    Il est dit : « les créations ne naissent ni ne durent par leur pouvoir propre ;

    Elles sont faibles et naissent par le pouvoir d’agents

    Qui les conditionnent et jouent le rôle d’objets ;

    Elles sont produites par les objets, les conditions et les autres agents.

    Les hommes vont sur les flots en montant à bord d’un navire,

    La collection psychique opère avec l’aide du physique.

    Le navire va sur les flots grâce à l’action des hommes,

    La collection physique opère avec l’aide du psychique.

    Le psychique et le physique s’entraident

    Comme les hommes et le navire qui voguent sur les flots. »

    Les éléments de l’esprit − sensations, perceptions, compositions et conscience − appartenant au domaine du sixième sens, celui du mental (mana), ne jouissent pas d’un statut particulier qui les placerait au dessus des éléments appartenant aux domaines des cinq autres sens ; tout au plus disposent-ils d’un précieux avantage, celui de pouvoir être plus « aisément » − mais non sans effort − maîtrisés par la méditation. En contrôlant les portes de l’esprit, les êtres les plus avancés peuvent non seulement y supprimer toute agitation mentale mais également interdire à leur propre souffrance physique d’avoir des effets mentaux. Car si la dictature du corps ne touche plus le sage, celui-ci ne peut pour autant exercer un contrôle absolu sur son corps :

    - Vénérable Nāgasena, vous dites, toi et tes pareils, que l’arahā éprouve uniquement des sensations physiques, non pas mentales. Est-ce à dire qu’il est sans autorité ni maîtrise sur son corps, qui est le soutien grâce auquel procède sa pensée ?

    - Oui, ô Roi.

    - Il est tout de même contradictoire, Vénérable, qu’il n’ait pas d’autorité sur le corps, qui est le soutien grâce auquel procède sa pensée, alors qu’un simple oiseau exerce son autorité, sa maîtrise, son contrôle sur le nid qu’il habite !

    - Ô Roi, dix phénomènes inhérents au corps le pourchassent et suivent continuellement ses mouvements tout au long du devenir. Quels sont-ils ? Ce sont le froid, la chaleur, la faim, la soif, l’excrétion, la miction, l’apathie et la torpeur, le vieillissement, la maladie, la mort. L’arahā n’a ni autorité, ni maîtrise, ni contrôle sur eux.

    - Pourquoi le pouvoir et l’autorité de l’arahā ne s’exercent-ils pas sur son corps ? Dis m’en la raison, Vénérable.

    - Ô Roi, représente-toi les êtres qui, ayant la terre pour soutien, s’y meuvent, y demeurent, y vaquent à leurs affaires, tous tant qu’ils sont : leur pouvoir et leur autorité s’exercent-ils sur elle ?

    - Non, Vénérable.

    - De même, bien que la pensée de l’arahā procède avec le soutien de son corps, son pouvoir ne s’exerce pas sur lui.

    Et pour quelle raison l’arahā éprouve-t-il uniquement des sensations physiques, non pas mentales ? L’esprit de l’arahā est dûment entraîné, bien dompté, docile, obéissant. Atteint par la douleur, il s’accroche fermement à l’idée d’impermanence et attache son esprit au poteau de la concentration (samādhi) : ainsi attaché, il ne s’agite ni ne tremble, mais reste stable et immuable. Toutefois son corps gesticule et se contorsionne en tous sens sous l’effet du rayonnement de la douleur.

    Seule la mort physique permet de défaire ce dernier lien ; le Mahāparinibbāna-sutta, lorsqu’il évoque les maladies du Bouddha, dont celle qui mettra fin à ses jours, illustre cette ultime limite :

    Ainsi, ce jour-là, le Bhagava avait pris son repas chez Cunda Kammāraputta. Il tomba gravement malade et eut une hémorragie. Les douleurs étaient mortelles. Le Bhagava, étant attentif et en pleine conscience (sata sampajāna), supporta la maladie avec sérénité.

    Cette affirmation d’une égalité de statut de l’esprit et du corps pourrait paraître d’une évidente simplicité, mais elle emporte des conséquences importantes :

    - des conséquences théoriques, philosophiques et religieuses, puisqu’elle dénie que l’esprit puisse être permanent ou éternel, et qu’il puisse transmigrer d’une existence à l’autre. A la question « qu’est-ce qui re-naît ? », le bouddhisme répond par conséquent : « ni l’esprit, ni l’un de ses constituants ».

    - des conséquences pratiques, puisque la négation d’un statut à part de l’esprit conduit à l’atténuation progressive de l’égocentrisme, au détachement et peut ouvrir in fine la voie de la libération. A la question « qu’est-ce qui re-naît ? », le bouddhisme répond par conséquent : « au lieu de t’attacher à cette question, tranche les liens qui te conduisent à re-naître ».

    Ces deux réponses structurent la notion d’anattatā, « l’absence d’attā ».

      

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