Les chasseurs de farfadets
Des lumières dans l'espace...
Les chercheurs du Département analyse surveillance de l'environnement (Dase) du CEA (à Bruyère-le-Chatel) ont pour mission de filmer d' étranges phénomènes atmosphériques qui accompagnent les orages.
A bord de la station spatiale internationale occupée en permanence par un équipage international qui se consacre à la recherche scientifique dans l'environnement spatial, une étude particulière est menée pour filmer des phénomènes lumineux étranges appelés "farfadets ", "sylphes" ou encore "elfes".
Les étranges phénomènes lumineux transitoires
Le séjour d’un astronaute européen à bord de la Station spatiale Internationale (ISS) est une opportunité exceptionnelle de mettre à profit les expériences embarquées lors des missions précédentes.
Figure ainsi au programme de la mission DELTA, avec l’astronaute néerlandais André Kuipers, une expérience française pour traquer d’intrigants phénomènes atmosphériques : les sylphes et les elfes.
Depuis les origines, l’humanité a été fascinée par les phénomènes orageux et leurs manifestations dans la très basse atmosphère, comme la foudre, qui joue un rôle majeur dans les mythologies du monde entier.
En imaginant des forces fabuleuses se déchaînant dans les cieux au-delà des nuages d’orages, les anciens n’étaient pas si éloignés de la réalité, car si ces régions encore mal connues de l’atmosphère ne sont pas le royaume de Zeus et d’Héphaïstos, elles sont celui des sylphes et des elfes.
Le phénomène connu sous le nom de « sylphes rouges » (en anglais « sprites ») a été découvert en 1989 et se présente sous la forme d’émissions lumineuses rouges apparaissant au-dessus des orages dans l’atmosphère moyenne et supérieure. Ces sylphes se développent du sommet des nuages jusqu’à des altitudes de l’ordre de 100 km et s’étendent sur des distances horizontales pouvant varier de 1 à 50 km. Leur durée varie de 10 à 300 ms. Ils apparaissent souvent en groupe et peuvent s’accompagner d’autres types d’émissions : les elfes et les jets bleus qui, comme les sylphes, ne peuvent être observés que sur l’horizon depuis les plus hauts sommets montagneux ou depuis les orbites basses.
L’expérience LSO (Lightning and Sprite Observation), au programme de la mission DELTA, s’attache à leur étude.
(source : esa.int/fre)
« Les elfes apparaissent sous forme de disques à la base de l’ionosphère à des altitudes de l’ordre de la centaine de kilomètre », explique Elisabeth Blanc du Laboratoire de Détection et de Géophysique du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), investigateur principal de LSO. « Ils s’étendent alors radialement, à l’horizontale, sur plusieurs centaines de kilomètres à une vitesse proche de celle de la lumière. Ce sont des phénomènes plus courts que les sylphes, ils durent quelques millisecondes. Les jets bleus sont des émissions lumineuses coniques qui apparaissent du sommet des nuages jusqu’à environ 50 km d’altitude ».
Développée en un temps record par le Département Analyse Surveillance Environnement (DASE) du CEA, l'expérience LSO est à bord de l’ISS depuis plusieurs années puisqu’elle y a été installée lors de la mission Andromède de Claudie Haigneré (21 au 31 octobre 2001). Elle se compose de deux micro-caméras numériques pilotées par un ordinateur portable. L'une de ces caméras est équipée d'un filtre adapté à l'observation des sylphes, tandis que l'autre est chargée d’observer les éclairs dans le spectre visible. Ces deux caméras sont fixées sur un hublot pointant vers le nadir pour des périodes de 5 jours, lorsque la stabilisation de l’ISS le permet, et elles sont actionnées pendant la nuit au-dessus des continents, les orages étant plus rares sur les océans.
Les aurores polaires nous ont montré qu’il existe dans notre système solaire des couplages étroits entre le soleil et les planètes. Les champs magnétiques, électriques et électromagnétiques dans lesquels nous baignons se manifestent parfois par la violence des orages ou la poésie des aurores. Mais en quittant le sol de sa planète, l’homme a découvert des messages lumineux lui révélant de nouveaux phénomènes. Les premiers à signaler des lueurs insolites au-dessus des nuages furent des pilotes volants à haute altitude. On y attacha peu d’importance et ces visions passèrent pour des aberrations optiques. Et pourtant, quelques années plus tard, à leur tour des astronautes rapportèrent ces apparitions et il a bien fallu s’y intéresser. C’est ce que nous allons faire !
Ces phénomènes sont si fugitifs qu’ils sont appelés PLT (Phénomènes Lumineux Transitoires) et que ce sont des contes et des légendes que l’on tire le nom de chacun d’eux. On en distingue trois grandes familles avec dans chacune plusieurs variétés selon leur forme ou leur durée. Il y a les plus courants : farfadets ou sylphes rouges (sprites en anglais), les plus étendus : elfes (elves en anglais) et les plus rares (jets bleus).
Ils apparaissent dans la haute atmosphère entre 80 et 150km au-dessus d’orage très violents. Ils durent quelques dizaines de millisecondes et prennent des formes étranges pour les observateurs. Souvent celle d’une méduse de 50km de large avec des filaments pendants, mais parfois celle d’une colonne. Les éclairs créent de puissants champs électriques et la haute atmosphère réagit comme une tube « néon » et s’éclaire le temps d’une décharge. C’est l’azote N² qui donne des couleurs passant du rouge au bleu selon l’altitude. Ces manifestations se comptent par dizaines de milliers chaque année.
Toujours créés par des orages, ces phénomènes seraient plutôt le fait d’une impulsion électromagnétique qui se propage dans toutes les directions et accélèrent des électrons. A 100km d’altitude, ce sont encore les molécules d’azote qui sont excitées et forment un disque faiblement coloré de 400 à 500 km de diamètre. Les observations des elfes sont assez rares et elles ne durent que quelques millisecondes.
Il s’agit là d’une manifestation différente. Ils forment une colonne étroite légèrement conique qui monte du nuage vers l’ionosphère jusqu’à 50km et d’un bleu soutenu. Plus lumineux que les farfadets, ils sont aussi plus rares (quelques centaines par an. ) et ne sont pas dus à des orages violents. Ce serait simplement des éclairs entre les nuages de glace (positifs) et l’ionosphère (négatif)
Après les premières observations fortuites, les scientifiques se sont intéressé aux phénomènes et ont organisé des campagnes d’observation. La Navette et la Station Internationale ont été exploitées à cet effet. Ce sont ensuite les satellites qui ont été équipés, souvent météo ou d’observation de la Terre, où qui ont été conçus pour l’étude des Phénomènes Lumineux Transitoires.
Plusieurs mesures ont été faites à partir de la Navette. La dernière campagne s’est faite sur Columbia en 2003 avant la tragique destruction de cette navette.
Sur, l’ISS, il faut noter la série de mesures faites avec l’instrument LSO (Lightings & Sprites Observations) du CEA français. Lors de son vol en 2001, Claudie Haigneré a été chargée de ces observations.
Ce premier satellite de la famille Orbview américaine est sur une orbite circulaire inclinée à 70°. Il a été lancé en 1995 et son principal équipement scientifique était l’OTD (Optical Transient Detector). Cet équipement pour l’étude des éclairs d’orage a été fabriqué par la NASA et utilisé pour des mesures terrestres avant son embarquement sur Orbview-1. Prévu pour fonctionner deux ans, il a été utilisé bien au-delà.
Dès 1960, la Defense (USA) a développé un programme de satellites météorologiques sur orbite polaire. Les données d’abord classifiées, ont été rendues publiques dans les années 70. Plusieurs capteurs ont fourni d’intéressants résultats sur les phénomènes lumineux transitoires.
C’est un satellite de télédétection commercial utilisé par Taïwan et construit par Astrium. Il a été lancé en 2004 et il emporte l’instrument ISUAL (Imager of Sprites and Upper Atmospheric Lightning) qui observent les farfadets et autres phénomènes lumineux. Il est prévu pour fonctionner au moins jusqu’en 2014. A noter que plusieurs pays d’Asie s’intéressent aux PLT, en particulier le Japon.
Projet international pour l’étude du couplage Magnétosphère-Ionosphère-Atmosphère. Une dizaine de pays contribuent au projet qui étudiera notamment les PLT présentés ci-dessus et certains flashes de rayonnement gamma. Ce satellite de la gamme MYRIADE du CNES sera lancé en 2016 par un lanceur Soyouz ou Véga. Le Cnes-Toulouse et l’IRAP contribuent à ce projet.
Ces travaux permettent de mieux comprendre que bien au-delà de notre atmosphère l’environnement de la Terre appartient à un ensemble où les champs électriques et magnétiques, les particules ionisées et les atomes sont étroitement liés. Ces liaisons modifient l’équilibre électrique mais aussi la chimie de notre environnement, elles ne sont pas sans incidence sur l’ionosphère, la couche d’ozone et le climat. Mieux les connaitre permet de prévoir les évolutions et d’anticiper les anomalies. Il est apparu aussi que les Phénomènes Lumineux Transitoires n’étaient pas une exclusivité terrestre et les mêmes mécanismes ont pu être détectés sur d’autres planètes.
Souhaitons à la mission TARANIS qu’elle fasse une belle moisson de résultats. Rendez-vous en 2016 !
Textes : Jack Muller - amis-cite-espace
AUX PORTES DU COSMOS
Aux portes du Cosmos, est un documentaire (0h42) qui revient sur la mission du cosmonaute japonais Satoshi Furukawa à bord de l'ISS, la Station Spatiale Internationale en orbite terrestre, où il doit filmer des phénomènes spectaculaires comme les farfadets, les chutes de météorites, et les aurores boréales.
Ce documentaire suit le travail en 2011 d’un cinéaste japonais pas comme les autres, le cosmonaute Satoshi Furukawa. Grâce à une toute nouvelle caméra à très haute sensibilité développée par la NHK, la télévision publique japonaise, permettant de capter à près de 400 kilomètres de la Terre des images exceptionnelles en HD, il apportera un rendu encore jamais vu.
Les sprites ou farfadets, bouquets de foudre se formant au-dessus des éclairs, les aurores boréales et les étoiles filantes, sont visibles à la frontière entre l’espace et l’atmosphère, mais Satoshi Furukawa n’a que peu de temps pendant son séjour pour capter leurs rares apparitions. Ces images permettront d’éclaircir l’impact qu'ils ont sur la vie terrestre.
Partageant l’expérience du spationaute français Léopold Eyharts, de l'ESA, l'Agence Spatiale Européenne, cette aventure scientifique ouvre les portes de l'ISS, et offre une nouvelle vue de notre planète.
L'ISS effectue une rotation autour de la Terre en 1h30 seulement, elle voyage à 28 000 km par heure. Jour et nuit se succèdent toutes les 45 minutes. Devant sa fenêtre, Satoshi Furukawa doit filmer la fine couche d'atmosphère terrestre avec la caméra ultra-sensible conçue pour cette mission. Il enregistrera des heures d'images pour comprendre la place de la Terre dans l'Univers. Au bout de cette odyssée spatiale, Satoshi Furukawa livrera les premières images haute définition du phénomène électrique des farfadets, des aurores boréales vues depuis l'espace, et de plusieurs pluies d'étoiles filantes.
Grâce à ces images, les scientifiques analyseront les interactions entre l'atmosphère de notre planète et l'espace. On découvrira les conséquences des tempêtes solaires, des explosions de supernovae et des chutes de météorites. L'aventure de la science et de l'espace, un autre regard sur le monde que le cosmonaute de l'lSS va vivre aux portes du Cosmos.
L'équipe americano-japonaise du Pr. Mc Harg, tente l'expérience de filmer des farfadets depuis deux jets grâce à des caméras mises au point par des techniciens de la NHK. Cette caméra capte 100.000 images à la seconde, ce qui permet des ralentis stupéfiants. Chaque avion embarquera un appareil de ce type, c'est une première mondiale.
Pour en savoir plus, les chasseurs de farfadets du Pr. Mc Harg vont voler au-dessus des cumulonimbus d'un orage d'été. On se concentre sur la mission, car l'aventure est périlleuse, les deux avions vont grimper dans la tourmente à 13.000 mètres d'altitude.
Plus d'une dizaine de farfadets sont captés par l'équipe. Cet étrange phénomène mérite son nom, car sa silhouette évoque celle d'un fantôme qui surgit. Les chercheurs remarquent que tous n'ont pas la même forme, et certains farfadets attirent plus particulièrement leur attention. Leur partie supérieure n'est pas visible car elle s'élève à 100 km, atteignant donc la couche la plus haute de l'atmosphère terrestre.
Après avoir observé les aurores polaires et les farfadets, Satoshi Furukawa va poursuivre son tournage. Nous sommes à la mi-août 2011, il va tenter de filmer les pluies d'étoiles filantes.
A 400 km d'altitude, le cosmonaute s'apprête à capter les images d'un phénomène qui fait rêver les hommes depuis la plus haute Antiquité. Pendant longtemps, les chutes de météorites étaient prises comme des présages célestes. Il y a eu certaines époques où des cultes ont été rendus à des pierres météoritiques.
Chaque année au mois d'août, une pluie d'étoiles filantes illumine la voûte céleste. Satoshi Furukawa va utiliser sa caméra haute sensibilité pour tenter d'enregistrer le moment où ces objets pénètrent dans l'atmosphère terrestre. Rajoutée à la structure pour permettre aux cosmonautes de surveiller les manoeuvres d'amarrage et de désamarrage, mais aussi les opérations extérieures effectuées par les bras robotisés de l‘lSS, la coupole d'observation offre un point de vue exceptionnel sur la planète.
Vue de I'ISS, l'atmosphère terrestre n'est qu'une fine couche. Cette mince couche d'atmosphère conditionne toute la vie. On peut voir des photos, mais là, c'est réel. Par moments, elle est presque invisible, ce qui fait prendre conscience de cette fragilité. On peut voir aussi, à travers les photos et les vidéos, les problèmes de pollution. Au niveau de la mer, par exemple, ils sont parfois très flagrants. C'est aussi un lieu d'observation pour les citoyens du monde.
Satoshi Furukawa s'apprête maintenant à retrouver la Terre, et achève ses ultimes expériences. Sa mission aura duré 5 mois, 165 jours d'un incroyable huis clos, hors des saisons et du temps. "Pour moi, et pour la plupart de mes collègues, je pense, le temps passe très vite. Il y a toujours quelque chose à faire, à regarder, à observer, des contacts avec le sol. On ne voit pas le temps passer, les six mois passent très vite."
Une dernière aventure débute. Une fois désamarrée de la station spatiale, la capsule plonge dans l'atmosphère. Le retour passe plus rapidement que l'aller, entre 4 et 5 heures. La phase d'entrée dans l'atmosphère dure une vingtaine de minutes. La rentrée atmosphérique est très intense, on passe par des températures de 1.500 à 2.000 degrés, mais le vaisseau est protégé. Ensuite, l'ouverture du parachute induit des rotations, des accélérations, et on subit 4 ou 5 "G", c'est-à-dire 4 ou 5 fois son poids.
Le 22 novembre 2011, Satoshi Furukawa est extirpé de la capsule Soyouz, qui l'a ramené au Kazakhstan. Le cosmonaute japonais avoue alors qu'il a la sensation d'avoir aboli toutes les frontières, celles qui séparent les hommes, et celles entre la Terre et le Cosmos...
Des farfadets ont été observés dans les couches supérieures de l'atmosphère de Vénus, Jupiter, et Neptune.
(source : .wikipedia)
Des jets géants au-dessus d'un orage
Des vidéos exceptionnelles de jets géants, qui se produisent au-dessus d'un nuage orageux, ont été réalisées à La Réunion. Elles permettent de mieux comprendre ces énormes décharges électriques qui grimpent dans l'atmosphère.
Comme un iceberg possède sa partie immergée, certains orages ont une face cachée, qui se déroule au-dessus du nuage. Appelés jets, elfes ou sylphes, ces phénomènes sont observés depuis une vingtaine d’années. Pour la première fois, des images couleurs de jets géants ont été obtenues, ainsi que des vidéos exceptionnelles de cinq jets, à une distance d'à peine 50 km, pendant un orage à l’île de la Réunion. Elles révèlent avec beaucoup de détails la propagation et la structure de ce type de décharges électriques.
C’est Patrice Huet, de la Maison du Volcan de La Réunion, qui a pris ces images le 7 mars 2010. Habitué à photographier les éclairs, il avait installé son matériel à 1.600 mètres d’altitude. En moins d’une heure, il a capté les vidéos de cinq jets géants, des décharges électriques qui s’élèvent au-dessus du nuage d’orage, jusqu’à 90 km d’altitude. Une équipe internationale a analysé ces données précieuses afin de mieux comprendre les mécanismes de ces événements lumineux transitoires (TLE).
Le jet se déroule en deux phases : une première phase plus rapide et qui s’élève très haut, une seconde plus lente, moins haute, où on voit comme des petites perles. Le tout dure une demi-seconde. Crédit: Patrice Huet.
«Ces vidéos confirment que le jet géant démarre au cœur du nuage» explique Serge Soula, du Laboratoire d'Aérologie de l’Observatoire Midi-Pyrénées (Université de Toulouse/CNRS), qui a coordonné les travaux. Il existe deux types de jets : le jet bleu s’élève à 30 ou 40 km, et démarre au sommet du nuage. Ce fut le premier jet observé, en 1994. Le jet géant lui, n’a été vu pour la première fois qu’en 2001, à Porto Rico. Il s’élève beaucoup plus haut et part du cœur du nuage, de la zone de convection –le moteur du nuage orageux.
«D’après la théorie, établie en 2008 par des chercheurs américains, il se produit une série de décharges à l’intérieur du nuage d’orage, entre deux zones chargées électriquement, explique Serge Soula. Celle du haut est chargée positivement, celle du cœur du nuage est chargée négativement. Lorsque la zone du haut s’épuise, mais que le cœur est encore bien chargé, il envoie ses décharges vers le haut, où plus aucune charge positive ne l’arrête. Il peut alors se produire une décharge, un jet géant, au-dessus du nuage».
Les vidéos de la Réunion confirment cette théorie. «Pour les cinq jets géants filmés, avant leur sortie nous observons une activité dans le nuage, sous forme pulsionnelle : ce sont les décharges intra-nuage», poursuit le chercheur. «De plus notre collègue hongrois a enregistré des électromagnétiques à très basse fréquence simultanés aux jets géants, qui permettent de déduire le sens du courant et donc de connaître la charge déplacée hors du nuage». Une charge négative pour les cinq jets filmés.
Lors de l’orage du 7 mars 2010 à la Réunion, qui a duré environ deux heures, 3 jets se sont produits en 4 minutes, puis, 40 minutes plus tard, 2 autres en seulement 3 minutes. «Contrairement aux sylphes, les jets géants ne se produisent pas forcément dans de très gros orages. En revanche l’orage était très développé verticalement, sur 16 km, précise Serge Soula, c’est peut-être l’une des conditions de formation des jets ». Les autres restent à élucider.
Cécile Dumas
Farfadets
LA FORME DU NUAGE EST CAPITALE
Particularité importante pour la suite : la région stratiforme chargée qui se développe au sommet est beaucoup plus étendue que le corps vertical du nuage. Les cristaux légers, chargés positivement, rencontrent en effet, vers 11 km d'altitude, la frontière avec la stratosphère appelée "tropopause" : là, la température se met à augmenter brusquement... Du coup, l'air tiède se heurte à une couche plus chaude qui stoppe son ascension. Faute de pouvoir gagner en hauteur, les particules de glace chargées positivement s'étalent en surface, constituant ainsi l'enclume typique du nuage d'orage, sous laquelle se trouve la terre chargée, elle, négativement. Le physicien Steve A. Cummer, de l'université de Duke (Durham, Caroline du Nord), collègue de Walter Lyons, souligne : "Ce mécanisme lié à l'étalement stratiforme du nuage en altitude est capital. Il explique pourquoi on ne rencontre pas de sprites au-dessus d'un autre type d'orage géant, le 'supercell', qui, lui, se présente plutôt comme un système vertical. C'est ce qu'ont permis d'établir pour la première fois nos propres observations : c'est seulement quand la partie élargie du nuage est formée qu'apparaissent les sprites en nombre."
UN COURANT ÉLECTRIQUE ÉNORME
Ce type de nuage stratiforme est une véritable usine à sylphes rouges. ->
Grâce à l'enclume se crée en effet un immense condensateur naturel constitué de deux plaques chargées - la terre négative au sol, le nuage stratiforme positif - que sépare un média plus ou moins isolant : l'air humide. Lorsque le champ électrique atteint une certaine valeur entre la charge positive et le sol, une décharge se produit localement et se propage vers la terre, sous forme d'un éclair "nuage-sol", ou CG (cloud to ground) en jargon météo. "La succession d'éclairs va alors vider l'énorme réservoir de charges positives en altitude, qui se trouve neutralisé, explique Serge Soula. Mais la base du nuage, elle, reste négativement chargée ! C'est alors que s'enclenche le mécanisme, survenant quelques millisecondes après l'éclair CG, qui génère le sprite." La charge négative du nuage induit en effet dans l'ionosphère, à environ 90 km d'altitude, la concentration d'un réservoir de charges positives. L'effet condensateur se répète, avec apparition d'un nouveau champ électrique, cette fois entre nuage et ionosphère. Il se produit alors vers 75 km une étincelle : le sylphe est né.
Ce sont les phénomènes de perturbation électrique liés à la décharge qui vont lui donner sa forme et sa couleur caractéristiques : électrons et ions sont précipités dans la mésosphère (la couche intermédiaire entre stratosphère et ionosphère, qui s'étend entre 50 et 90 km d'altitude) où ils heurtent les molécules d'azote de l'air, créant ainsi les filaments d'ionisation. Excitées par le contact, ces molécules perdent de l'énergie en émettant un rayonnement électromagnétique dans la longueur d'onde du rouge visible.
Un MCS, une fois mature, devient une véritable usine à sprites : à partir d'un réservoir de 1300 km² situé à 5000 mètres d'altitude, Walter
Lyons et Steve A. Cummer ont pu identifier des neutralisations de charges de l'ordre de 300 coulombs, avec des courants de 112.000 ampères, soit assez de courant pour démarrer un millier de voitures.Cette période de l'orage dure environ une heure, pendant laquelle un sprite se produit en moyenne toutes les 2 minutes et demie. Sachant que plusieurs MCS coexistent en permanence sur la planète, cela explique la fréquence moyenne de un sylphe toutes les 20 secondes constatée au niveau global. Sachant qu'un orage dure environ une heure et qu'il génère un sylphe toutes les 2 minutes et demie, on peut en déduire, qu'à l'échelle de la planète, il s'en produit un toutes les 20 secondes.
Dans les grandes lignes, prévisions théoriques et observations menées à l'aide de radars et autres caméras ultrasensibles et ultrarapides (jusqu'à 7000 images par seconde) se rejoignent. Pour autant, les sylphes gardent encore une part de leur mystère. Première anomalie : les scientifiques ont observé que l'immense majorité des sprites est issue d'éclairs nuage-sol positifs (ou CG+, c'est-à-dire dont la décharge s'effectue entre le réservoir de charges positives localisé dans la partie supérieure du nuage et la Terre). Pourquoi pas ou très peu de sprites suivant des éclairs négatifs (CG-) allant de la partie inférieure du nuage vers le sol ? "C'est la grande question, concède Walter Lyons. Il se pourrait que l'intensité des éclairs CG-, quelques dizaines d'ampères contre plusieurs centaines et plus pour les CC+, soit trop limitée...
Mais la physique n'est pas encore claire, il faut continuer à chercher. Serge Soula, lui, a peut-être une idée : "On sait que le paramètre déterminant pour l'apparition d'un sprite est non seulement la charge du réservoir d'où est issu l'éclair fondateur, mais aussi une altitude élevée. Or, dans un éclair CG+, la décharge s'effectue à partir du sommet du nuage - très haut - alors que pour le CG-, la charge est précipitée à partir de la partie inférieure du nuage. De plus, les charges négatives de la base du nuage ont tendance à s'user par petites décharges : on a alors du mal à construire la charge nécessaire au phénomène". Reste toutefois à vérifier ce scénario par de nouvelles campagnes d'observation.
A l'issu de l'expérience de la Station spatiale internationale (baptisée LSO, Lightings and Sprites Obserrations), les physiciens sauront si ces étranges illuminations valent la peine qu'on leur consacre un micro-satellite.