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Personnages étonnants

Les rois guérisseurs

Du Moyen Âge au xixe siècle, les rois de France et d'Angleterre sont réputés détenir le pouvoir de guérir les écrouelles par simple contact.

« Le roy te touche, Dieu te guerys. »

Les ROIS GUERISSEURS

Historique du toucher des écrouelles

Les ROIS GUERISSEURS

Origines du toucher royal

Le toucher royal s'inscrit dans un ensemble de croyances anciennes relatives à la dimension sacrée des rois dont on trouve des traces chez les Germains pré-chrétiens. Tacite indique qu'ils sont sélectionnés non pas au mérite, comme le sont les chefs de guerre, mais dans la noblesse. Selon Jordanès, « ils portent le titre d'Ases, c'est-à-dire de demi-dieux ». De fait, plusieurs généalogies anglo-saxonnes remontent jusqu'à Wotan. Cependant, aucun d'entre eux n'est réputé posséder de pouvoirs de guérison. De manière générale, les rois guérisseurs sont plutôt rares : leur action porte plutôt sur les phénomènes cosmiques ou climatiques. L'impossibilité de leur attribuer la maîtrise de ces derniers dans l'Europe chrétienne explique peut-être que l'on ait fini par leur attribuer des pouvoirs thaumaturgiques. La dimension sacrée de la royauté germaine subsiste par quelques traits dans l'Europe chrétienne, notamment l'importance accordée à la chevelure des Mérovingiens. Malgré tout, les rois francs et anglais restent des laïcs comme les autres.

La rupture intervient vers la fin du viie siècle : le concept de royauté sacrée s'ancre alors dans le personnage biblique de Melchisédech, prêtre et roi de Salem. L'onction apparaît au viiie siècle dans l'Espagne wisigothique ; chez les Francs, elle est utilisée pour la première fois par Pépin le Bref en 751. Le rituel passe ensuite en Angleterre et s'étend à toute l'Europe. Le sacre de Louis le Pieux en 816 est le premier à associer onction et couronnement au titre impérial ; ce sera désormais la règle pour les empereurs comme pour les rois. Ceux-ci sont désormais les oints du Seigneur, des « Christs ». Or le sacré est alors étroitement lié au pouvoir de guérison. Ayant reçu l'onction, les rois deviennent naturellement des thaumaturges.

C'est au Moyen Âge, que le toucher royal apparaît en liaison avec la dimension sacrée que l'onction du sacre confère au roi. À l'époque médiévale, le terme « écrouelles » est peu précis et recouvre toute forme d'affection des ganglions, voire toute forme d'affection de la gorge et de la face : goitre, oreillons, etc. Il est même possible qu'en anglais, une certaine confusion ait régné entre scrofule,scurfy (pellicules) et scurvy (scorbut). La pathologie est endémique dans certaines régions d'Europe et fréquente ailleurs ; elle est rarement mortelle, mais suscite le dégoût par les défigurations et les suppurations qu'elle occasionne.

Henri IV touchant les écrouelles, gravure de Pierre Firens extraite de l'ouvrage d'André du Laurens, De strumis earum causis et curæ, 1609.

En France

L'apparition du toucher royal pour guérir les écrouelles n'est pas connue avec précision. Le premier témoignage qui en fait mention est celui de Guibert de Nogent, abbé de Nogent-sous-Coucy, dans son Des reliques des saints, daté de 1124 environ. Guibert indique avoir vu personnellement Louis VI le Gros (règne 1108-1137) guérir des scrofuleux en les touchant et en faisant le signe de la croix, miracle qu'il qualifie d'« habituel ». Le chroniqueur ajoute que le père du roi, Philippe Ier (règne 1060-1108), pratiquait déjà ce miracle mais qu'il avait perdu son don miraculeux par suite de ses péchés , c'est-à-dire du double adultère avec Bertrade de Montfort, qui avait entraîné son excommunication.

On ne connaît aucune indication selon laquelle les rois de France des dynasties antérieures aient touché les écrouelles ou eu des pouvoirs thaumaturges en général. Parmi les Mérovingiens, seul le roi Gontran († 592) est réputé avoir guéri des possédés ; ce don semble être lié à sa sainteté personnelle, et non à sa royauté. Il est probable que si les rois mérovingiens avaient revendiqué un pouvoir de guérison, les chroniqueurs l'auraient signalé. Pour les premiers Capétiens, Helgaud de Fleury accorde à Robert le Pieux (règne 996-1031) la grâce de « guérir les corps » : « de sa très pieuse main touchant les plaies des malades et les marquant du signe de la sainte croix, il les délivrait de la douleur et de la maladie. » Comme Philippe Ier est son petit-fils et que le règne intermédiaire d'Henri Ier est mal connu, peut-être ce pouvoir est-il déjà lié à la royauté de Robert le Pieux, et non à sa sainteté personnelle. Les écrouelles ne sont pas nommées explicitement : il est possible que les pouvoirs thaumaturges attribués aux rois de France aient été d'abord généralistes, avant de se spécialiser.

Le rituel comprend un double geste : le toucher direct du malade et le signe de la croix. On décrit Saint Louis comme prononçant des paroles (inconnues) lors du toucher, probablement une prière – la formule « le roi te touche, Dieu te guérit » n'est attestée qu'à partir du xvie siècle. Devant le manque de succès de la guérison, la formule s'est progressivement transformée en « le roi te touche, que Dieu te guérisse ».

Parallèlement se met en place la coutume de donner une aumône aux malades. En France, elle n'est remise qu'à ceux qui viennent de loin et varie entre 20 sous et 12 livres sous le règne de Philippe le Bel.

À l'origine, le toucher se fait de manière ponctuelle, sans régularité. Il ne devient périodique qu'à partir de Saint Louis, qui se livre au rituel un jour donné de la semaine. À partir duxve siècle, les malades se présentant au roi font d'abord l'objet d'un examen médical et d'un tri, pour départager ceux-ci qui sont effectivement atteints des écrouelles des autres.

Le toucher royal le plus spectaculaire est celui qui suit le sacre. En France, à partir de Louis X le Hutin, le lendemain de son sacre à Reims, le nouveau roi de France, suivi de sa cour, se rend en pèlerinage sur le tombeau de saint Marcoult au prieuré de Corbeny, situé sur le trajet à mi-chemin entre Reims et Laon, à l’extrémité est du Chemin des Dames. Depuis le hautMoyen Âge, on vénérait les reliques de ce saint qui prodiguait des guérisons aux malades atteints des écrouelles. Henri IV en fut empêché par la Ligue.

Ce pouvoir thaumaturgique était le signe d'une dimension quasi sacerdotale du Très Chrétien : les rois de France selon Du Peyrat, « font les miracles de leur vivant par la guérison des malades écrouelles, qui montrent bien qu’ils ne sont pas purs laïques, mais que participant à la prêtrise, ils ont des grâces particulières de Dieu, que même les plus réformés prêtres n’ont pas. »

Louis XIV toucha près de 200 000 malades. De son règne date l’emploi du subjonctif « Dieu te guérisse » et non plus « Dieu te guérit » ; il ne doit pas être mis en rapport avec une baisse de la croyance au pouvoir thaumaturgique. La formule laissait à Dieu la liberté de guérir ou de ne pas guérir selon que cela fût utile au malade ou non, le roi n’apparaissait que comme un intermédiaire. Il n’a jamais été question d’imputer le pouvoir au souverain mais à Dieu. Versailles devint un lieu de pèlerinage quand Louis XIV s’y installa définitivement. Les malades étaient accueillis sous les voûtes de l’Orangerie. Le contact avec les scrofuleux était éprouvant du fait du grand nombre des malades à toucher et parce que la maladie pouvait se manifester par des plaies purulentes sur le visage ; en avril 1689, le chroniqueur du Mercure Galant insista sur le fait que Louis XIV, qui pratiqua ce rite toute sa vie, surmontait le dégoût que pouvait lui inspirer le contact répété des malades des écrouelles.

Louis XV, à Pâques 1739, refuse tout net confession, communion et cérémonie rituelle. Il ne touchera jamais plus les écrouelles. Auprès d'un peuple resté largement croyant, l'effet politique est désastreux. Ce rite réapparut une dernière fois le 29 mai 1825, date du sacre de Charles X.

En Angleterre

Le premier témoignage sur le toucher royal remonte à Pierre de Blois, un clerc français vivant à la cour d'Henri II d'Angleterre. Il évoque dans une lettre, peu après 1182, la guérison par ce roi de « cette peste qui s'attaque à l'aine » (inguinaria pestis, la peste noire) et des écrouelles. Cependant, cette mention a paru peu fiable : on ne connaît pas d'épidémie de peste noire entre le viie siècle et 1347 ; Pierre de Blois aurait donc attribué à Henri II un miracle classique, celui de repousser la peste, dont le meilleur exemple est celui du pape Grégoire le Grand en 590. Si l'on écarte ce témoignage, le premier toucher royal attesté remonte à Édouard Ier en 1276.

En Angleterre, le roi récite également des prières. L'aumône est systématiquement accordée et s'établit à un denier d'Édouard Ier à Édouard III. Sous Henri VIII, l'aumône est passée à une pièce d'or – appelée angel (« ange ») parce qu'elle représente l'archange Michel – valant 6 shillings 8 deniers, puis 7 shillings 8 deniers. À titre de comparaison, pendant la Grande Peste, un denier représente la paie journalière d'un ouvrier peu qualifié et un angel, les honoraires d'un médecin réputé.

Les comptes de l'Échiquier (ministère des Finances) permettent de connaître le nombre de malades touchés par le monarque anglais. Pour Édouard Ier, le chiffre annuel va de 1736 malades lors de la dix-huitième année de règne à 197 lors de la douzième. Ces variations importantes peuvent s'expliquer par les autres occupations du souverain : guerres, fêtes de Cour, déplacements, etc. La France ne possède pas de statistiques similaires.

Réappropriation par la médecine

Au début du xviie siècle l'opinion se répand que les écrouelles sont contagieuses. En 1643 à Reims, un hôpital est ouvert pour accueillir les personnes, surtout des enfants, atteints des écrouelles. En mai 1683, Louis XIVaccorde à cet établissement, appelé Maison de Saint-Marcoul, des lettres patentes qui constituent la première mesure de lutte antituberculeuse jamais prise par les autorités.

En 1733, dans son ouvrage intitulé Dissertation sur la phtisie, Pierre Desault (1675/1735), docteur en médecine à Bordeaux, est un des premiers à signaler la parenté entre la phtisie pulmonaire et les formes extra-pulmonaires qui portent sur les ganglions cervicaux.

Cérémonie

Les ROIS GUERISSEURS 

Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa, geste évoquant le toucher royal, par Gros, 1804, musée du Louvre
 
 
Henri II pratiquant le toucher des écrouelles au prieuré de Corbeny, livre d'heures de Henri II, BnF.

 (source : wikipedia)

    

Les Rois magiciens aux pouvoirs de demi-Dieux !

 
Après la dislocation de l'Empire romain, la religion chrétienne triomphante privilégia les aspects spirituels et sacrés au détriment des aspects matériels de l'humanité. Le pouvoir ecclésiastique plaça la médecine savante sous haute surveillance. La hiérarchie sacerdotale maintint les médecins dans un rôle subalterne, leur interdisant l'expérimentation, et relégua les guérisseurs empiriques au rang de "sorciers". Les seuls thaumaturges que l'Église toléra furent les prêtres guérisseurs, les saints faiseurs de miracles. Curieusement, selon une tradition qui remonte à Robert II le Pieux (996-1031), les rois de France (et d'Angleterre) acquéraient par la vertu du saint chrême dont ils étaient oints lors de la cérémonie du sacre, le pouvoir miraculeux de guérir les malades. Les rois de France étaient censés guérir les écrouelles par le toucher, en prononçant la phrase "Le Roi te touche, Dieu te guérit", puis "Le Roi te touche, Dieu te guérisse". Au XVIIIe siècle, les souverains britanniques avaient le privilège de guérir l'épilepsie, les rois d'Espagne délivraient les possédés. Les rois de Hongrie faisaient disparaître la jaunisse et les rois de Bourgogne éloignaient la peste.

Les rois thaumaturges: Étude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale, particulièrement en France et en Angleterre, spécialiste du Moyen-Âge.
Livre publié en 1924

 
[…] En France, Philippe Ier est le premier roi connu qui touche les écrouelles, ces adénites tuberculeuses. Mais à l'origine, rien ne dit que le pouvoir des rois de France ait été aussi limité. En Angleterre, Edouard le Confesseur fut le premier à effectuer ce rite, mais il ne le fit qu'une seule fois. Puis l'auteur évoque les origines du pouvoir guérisseur des rois. Les rois de France et d'Angleterre sont devenus des guérisseurs car ce sont des personnages perçus comme sacrés. Or, pour la majorité des hommes du Moyen Age, qui ont une vision très matérielle de la religion, qui dit sacré dit guérir. Robert le Pieux est le premier roi qui a passé pour guérir les maladies. Sa réputation de piété l'a aidé. Ses successeurs ont ensuite récupéré ce don et sa spécialisation dans les écrouelles. En Angleterre, plus tard, c'est le roi Henri Beauclerc qui introduit la pratique thaumaturgique du toucher, au début du XIIe siècle. […]La pratique du toucher est très populaire jusqu'à la fin du XVe siècle. Les malades viennent de différents pays d'Europe et le nombre important des sujets scrofuleux venant se presser auprès du souverain sont une marque de loyalisme. Surtout, le rite du toucher va triompher de l'opinion ecclésiastique. Au XIe siècle, la réforme grégorienne, qui souhaitait contrer l'importance du pouvoir politique, cherchait à dépouiller les princes de leur empreinte surnaturelle et les réduire ainsi à de simples êtres humains. Cependant, lorsque la France de Philippe le Bel devient une grande puissance, les auteurs utilisent le don thaumaturgique comme arme pour renforcer la popularité de la maison royale. En Angleterre aussi, le don est une arme pour s'affirmer face à la papauté. Les déclarations des partisans du pape évoquant des mensonges ou les rêveries de ceux qui croient au miracle royal restent exceptionnelles. Et au début du XIVe siècle, les guérisons royales s'imposent à tous, même à l'opinion ecclésiastique.

 
France et Angleterre ont le monopole du toucher des écrouelles. Quelques pays tentent d'imiter les deux monarchies, mais sans succès. Cependant, l'Angleterre se différencie de la France par l'existence d'un autre miracle, celui des anneaux médicinaux. Dans ce pays en effet, lors du Vendredi saint, le roi échangeait de belles pièces de monnaie qu'il posait sur l'autel de l'église avant de les récupérer pour ensuite faire fabriquer des anneaux qui avaient la capacité de guérir certaines maladies, en particulier l'épilepsie. Depuis l'antiquité les anneaux sont des objets de la magie, en particulier de la magie médicale. Leur association avec la souffrance du Christ leur a conféré un pouvoir guérisseur. […]
[…] La longévité de la pratique du toucher des écrouelles s'explique par l'atmosphère religieuse dont étaient entourés les rois. Ces derniers avaient un caractère presque sacré, d'abord par l'onction au moment du sacre. Ensuite, des légendes renforcent le caractère quasi sacerdotal des souverains, comme celle de la Sainte Ampoule, des fleurs de lys en France ou la légende de l'huile d'origine céleste en Angleterre. Enfin, des superstitions, en vogue dans l'opinion commune, nourrissent encore la croyance en l'existence du miracle royal. Ainsi, la conception d'une royauté sacrée a traversé tout le Moyen Age sans perdre sa vigueur. […]

 
[…] Vers la fin du Moyen Age, Saint-Marcoul, un saint dont on sait seulement qu'il a vécu au VIe siècle, est associé à la dynastie royale. L'opinion commune en fait l'origine du pouvoir thaumaturgique des rois de France : c'est de lui que recevraient les monarques le pouvoir de guérir les écrouelles. La croyance est solidement établie dès le XVIe siècle. Une autre croyance vient se greffer sur celle en l'existence du miracle royal : le septième fils d'une famille serait un guérisseur-né. Ainsi, en France, cohabitent trois sortes de guérisseurs des écrouelles : les rois, les septennaires et Saint Marcoul. Chacun ont une origine distincte, mais les croyances populaires les ont amalgamé et un phénomène de contamination s'est produit. Du XVIe au XVIIIe siècle, la croyance au miracle royal perdure et reste forte. Même l'opinion ecclésiastique considère désormais ce rite comme un hommage à la religion.

La fin d'une croyance
Puis le rite du toucher a disparu parce que la foi en lui a été profondément ébranlée suite aux efforts de certains esprits pour éliminer de l'ordre du monde le surnaturel. Les philosophes des Lumières bien sûr, mais aussi des catholiques anglais qui continuent de nier purement et simplement ce miracle, laissant sous-entendre la possibilité d'une vaste erreur collective. […]
Dans une atmosphère où le surnaturel fait partie des choses normales, les masses n'attendent ni efficacité constante ni immédiateté du touche. En outre, d'autres lésions bénignes portaient le nom d'écrouelles. On n'attendait pas de vrai miracle mais tout inclinait à cette attente : l'idée de royauté sacrée, l'onction, la légende monarchique. Finalement, ce qui a créé la foi au miracle, c'est l'idée qu'il devait y avoir un miracle. La croyance au pouvoir thaumaturgique des rois fut le résultat d'une erreur collective.

Les secrets des rois guérisseurs - Jacques Le Goff (Héros du Moyen Âge, le Saint et le Roi)

Nous sommes dans le domaine de la croyance et de la foi. Ce sont les prédicateurs qui affirmaient : le roi a guéri tant de personnes en les touchant. C'est d'ailleurs aussi la prédication, seul moyen de communication, mais très puissant, du Moyen Age, qui popularise ce pouvoir thaumaturge. Parmi les gens touchés, certains croyaient à tort avoir cette maladie. D'autres mentaient, savaient qu'ils souffraient d'un autre mal mais que le toucher royal pouvait les guérir. Nous ne sommes pas dans le domaine de la médecine ! Ce qui a permis la naissance et la popularité de ce rite médiéval, c'est justement que le terrain médical était très peu occupé. A l'époque, la guérison relève du surnaturel. Le médecin en chef, c'est Dieu. Ce sont pourtant les saints qui font des miracles ! Le roi serait-il saint ? Nullement. Il est seulement sacré. Et ce don guérisseur est l'unique manifestation du caractère sacré de sa personne. Mais l'Eglise surveille et prend soin que le monarque ne devienne pas un saint. Un miracle sur une maladie spécifique telle que les écrouelles, c'est très bien. Mais il ne doit pas aller au-delà.
Malgré l'influence toujours forte de l'Eglise, son impact faiblit. Les philosophes des Lumières s'en sont évidemment moqués. Voltaire rappelle que la princesse de Soubise, maîtresse de Louis XIV, ne fut pas guérie "quoiqu'elle eût été très bien touchée". La lente laïcisation des esprits, la Réforme aussi mettent le caractère sacral du roi à mal et le pouvoir thaumaturge en prend un coup. Au XVIIIe siècle, Louis XV n'est pas très assidu : à cause de ses maîtresses, il refuse de communier et ne peut toucher les écrouelles. Charles X, lors de son sacre, en 1825, tentera de ressusciter le rite. Il sera le dernier.
Les rois thaumaturges Marc Bloch , Paris, Gallimard,
"La bibliothèque des histoires", 1983, préface de Jacques Le Goff.
(Source : Le Webzine de l’histoire) 
 
La tradition

La tradition du toucher des malades scrofuleux remonte, selon Marc Bloch (Les Rois thaumaturges), à Robert le Pieux pour la France et à Henri Ier pour l'Angleterre. Son adoption plus tardive dans ce dernier pays semble prouver que le roi anglais, conscient du surcroît de prestige apporté par le rite guérisseur, aurait imité son voisin, tout en prétendant s'appuyer sur l'exemple de son saint prédécesseur, Édouard le Confesseur. Quoi qu'il en soit, les rois de France et d'Angleterre furent à peu près les seuls souverains européens à pratiquer le toucher du « mal royal », et cela malgré l'essai infructueux d'autres monarchies pour s'imposer comme thaumaturges. Le cérémonial français se déroulait à des intervalles plus ou moins réguliers ; à partir du XVIe siècle, il avait lieu généralement aux grandes fêtes religieuses et attirait parfois jusqu'à deux mille malades, dont certains venaient d'au-delà des frontières. Après avoir communié sous les deux espèces, le roi touchait chaque malade à l'endroit des plaies en traçant un signe de croix et prononçait la formule rituelle : « Le roi te touche, Dieu te guérit » ; puis avait lieu une distribution d'aumônes.

La croyance en un pouvoir guérisseur des rois est liée à la représentation que les peuples se faisaient de la royauté. Elle prend sa source dans la vieille mentalité germanique, attribuant à certaines familles, nées pour régner, une vertu sacrée, un pouvoir quasi divin ; à cette croyance qui avait poussé la dynastie normande à se rattacher aux rois saxons et les Capétiens à se réclamer d'une filiation carolingienne était venu s'ajouter le cérémonial du sacre, véritable sacrement pour les théoriciens du pouvoir royal, qui faisait du nouveau souverain l'égal des évêques.

La légende de l'origine miraculeuse du saint chrême, celle non moins merveilleuse de l'apparition des fleurs de lys et tant d'autres, fruits de l'imagination populaire ou de celle des propagandistes de la monarchie, renforcèrent la croyance dans le caractère surnaturel des rois. La réaction grégorienne du XIe siècle s'efforça de combattre un certain nombre de croyances, mais, tout occupée de ses luttes avec l'Empire, négligea les royautés française et anglaise où le mythe des souverains guérisseurs put se développer librement.

En France, le toucher des écrouelles, interrompu par la Révolution française, fut repris une dernière fois lors du sacre de Charles X. Depuis la Réforme, toutefois, le nombre des sceptiques n'avait cessé de croître. En Angleterre, le rite résista, avec quelques interruptions, à tous les bouleversements politiques et religieux, mais disparut définitivement, dès le début du XVIIIe siècle, avec la reine Anne. (source : pictographe

«Ce roi est un grand magicien; il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets… Il va jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur eux.»

Le Moyen Age, tant français qu’anglais, a cru à la capacité des rois de guérir par leur toucher une forme de plaie, l’adénite tuberculeuse, appelée écrouelles ou scrofule. Cette croyance qui amenait des foules auprès du souverain thaumaturge résultait, dit l’historien Marc Bloch*, du caractère sacré de la royauté, lui-même issu de la tradition germanique qui attribuait à certaines familles nobles une semi-divinité, explicative de leur succès à la guerre comme dans les récoltes. Un bon prince pouvait procurer aux hommes une belle progéniture et de belles moissons. Au contraire, si la récolte venait à manquer, on le déposait: il n’avait pas correctement accompli les sacrifices.

Le premier roi français passé pour guérisseur fut Robert le Pieux (972-1031), fils de Hugues Capet, le fondateur de la dynastie qui usurpait la place des Carolingiens. Politiquement fragile, le deuxième Capet cherchait-il à rehausser sa légitimité par une manifestation surnaturelle inédite? Il avait plein soutien des évêques et de Cluny, il émanait de sa personne une force merveilleuse, alors pourquoi pas? «Vraisemblablement on s’efforça à la cour d’attirer les malades et de répandre la renommée des cures opérées», affirme Marc Bloch. Les Capétiens, dès lors, se firent médecins et se spécialisèrent dans une maladie déterminée, les écrouelles, particulièrement propice au miracle puisqu’elle peut disparaître comme elle est venue.

Le «toucher royal» perdura en France jusqu’au sacre de Charles X, en 1825. Le 29 octobre 1722, au lendemain de son sacre, Louis XV touchait encore plus de 2000 scrofuleux à Reims. Au lendemain du sien, Louis XVI en avait 2400 devant lui. Certes, en 1825, Charles X n’en avait plus qu’une centaine, rameutés par la réaction catholique. Ce fut la dernière fois qu’un roi, en Europe, posait sa main sur les écrouelles.

En Angleterre, le «toucher royal» s’était installé sous les princes normands avec l’habile Henri Ier, en 1100. Il s’est implanté durablement avec les Plantagenêts pour durer jusqu’au 27 avril 1714, date de la dernière «guérison» par la reine Anne. Les Hanovre, appelés à régner après elle sur la Grande-Bretagne, ne reprirent pas l’usage car conscients, selon David Hume, qu’il «n’était plus capable d’impressionner la populace et était atteint de ridicule aux yeux de tous les hommes de bon sens.»

Des princes européens, en Italie, en Espagne, en Allemagne, ont peut-être tenté de s’attribuer des pouvoirs guérisseurs, ne serait-ce que parce que leurs sujets allaient montrer leurs écrouelles en France ou en Angleterre. Aucun, cependant, après le XIIIe siècle, n’a pu concurrencer la renommée des guérisons opérées par les Capétiens ou les Plantagenêts. Aucun, dit Bloch, n’a eu assez d’astuce pour concevoir un pareil dessein, ou assez d’audace, d’esprit de suite ou de prestige personnel pour parvenir à l’imposer.» En Allemagne, «les dynasties saxonnes ou souabes tiraient de la couronne impériale trop de grandeur pour jouer au médecin».

Sous les monarchies française et anglaise, et elles seules, le peuple aura cru que «puisque mon roi guérit, il n’est pas un homme comme les autres». Une croyance qui se perpétue dans le dilemme de la démocratie: élu, mon président est-il un homme comme les autres ou au-dessus des autres?»

Une révolution, deux empires et cinq républiques auront sans doute suffi en deux siècles à désacraliser en France les huit siècles de la magie royale. Mais tout se passe comme s’il plaisait encore aux prétendants présidents de poser un regard de bienfaiteur sur les écrouelles de leurs électeurs.

* Les rois thaumaturges, Etude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale en France et en Angleterre, par Marc Bloch, 1924, Gallimard 1983. (source : letemps)

 

  

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