Petites histoires insolites de France
Quelques histoires dont on imaginerait jamais l'existence, et pourtant elles sont bien authentiques !
La planète Mars en flamme !
La planète Mars est en feu ! s’enflamme en 1894 le linguiste Edouard Bonnaffé (1825-1903) dans un article paru au sein du Figaro : le 28 juillet de cette année-là, l’astronome Stéphane Javelle (1864-1917), à l’observatoire de Nice, signalait une sorte de projection lumineuse sur le bord inférieur de Mars, le docteur Krueger, chargé du bureau central à Kiel, confirmant la découverte de son confrère et la télégraphiant aussitôt à tous les observatoires du monde entier.
Depuis, explique Edouard Bonnaffé, la tache lumineuse semble avoir augmenté d’intensité, et les astronomes, stupéfaits, se demandent quelle est la cause de cette immense lueur mystérieuse. De nouveau, se pose la troublante question : « Est-ce un signal ? »
Déjà, en 1879, poursuit-il, à la suite de la si curieuse découverte du professeur Schiaparelli, de Milan, qui le premier signala sur la surface de la planète la présence de canaux parallèles et réguliers, tout le monde avait crié au miracle. Et comme chacun sait que le climat de Mars est très semblable au nôtre et que les conditions de vie sont à peu près pareilles là-haut et sur la Terre, on se persuada bien vite que la planète était habitée. L’existence des Martiens, on leur donna tout de suite un nom, fut décrétée plutôt par force d’imagination que de raisonnements. De là à prétendre que ces nouveaux frères nous faisaient des signaux, il n’y avait qu’un pas.
Carte de Mars dessinée par Giovanni Schiaparelli (1835-1910)
Quelques-uns même se dirent :
« Pourquoi ne répondrions-nous pas à cet appel si touchant venu de l’infini ? » Après tout, nous possédons de merveilleux télescopes. La carte de Mars nous est connue, les astronomes savent par cœur les variations du Lac Moeris et même tous les secrets de Phobos et de Deimos, les deux minuscules satellites qui gravitent autour de la planète comme la Lune tourne autour de la nôtre. Nous connaissons l’atmosphère et la température de Mars, ses mers, ses continents. Nous savons ses brouillards, ses orages, la direction et la force de ses vents. Bien plus, nous pouvons voir fondre la neige sur le flanc des montagnes. Non seulement la forme des choses mais leur couleur nous est révélée par nos objectifs ; ignore-t-on que la teinte des mers là-haut est si foncée qu’on dirait une tache d’encre et que le sol de la planète a une couleur rouge brique très particulière ?
Et, de tous les points du monde, s’éleva une clameur : « Faisons, nous aussi, des signaux. » Un astronome allemand proposa de correspondre avec les Martiens au moyen d’immenses constructions géométriques qui devaient être bâties dans les plaines sibériennes. M. Galton, un Anglais, écrivit au Times une lettre, fort commentée à l’époque, où il offrait de faire établir, dans les deux hémisphères, une série de réflecteurs très puissants destinés à concentrer sur la planète la lumière solaire.
Un troisième proposa d’utiliser les phares les plus intenses de nos côtes. Mais l’idée la plus originale fut celle de cet Anglais, M. Haweis, qui demanda aux diverses Compagnies qui assurent l’éclairage de la ville de Londres d’éteindre, de cinq en cinq minutes, tous les becs de gaz de la capitale. Il voulait ainsi créer des intermittences d’obscurité et de lumière, de façon à éveiller l’attention des Martiens, dans le cas où ceux-ci auraient, au moment précis de l’expérience, braqué leurs prétendus télescopes dans la direction de notre planète !
Enfin, plus récemment, une dame, en mourant, léguait une somme très considérable à l’Académie des Sciences de Paris. Ce legs, qui n’a du reste pas encore trouvé sa destination, était réservé à l’audacieux et génial astronome qui pourrait mettre ces bons Martiens en communication avec nous.
Colonie martienne. Vision de l'artiste Don Dixon,
Quoi qu’il en soit, que la planète soit habitée ou non, il est évident qu’il s’y passe, depuis quelques jours, des phénomènes à la fois inexplicables et terrifiants. Tandis que les uns pensent qu’il s’agit de l’éruption d’un gigantesque volcan, les autres affirment que nous assistons à l’incendie d’une forêt de plusieurs centaines de milliers d’hectares.
Que croire ?
Cette immense et vague lueur soudain allumée aux flancs de la planète qui court éperdument à travers les régions sidérales est-elle l’indice de l’un de ces effroyables cataclysmes dont notre imagination humaine ne peut concevoir ni la cause ni même l’horreur ; annonce-t-elle, au contraire, à l’horizon un signal nouveau, l’aurore de je ne sais quelle espérance ? Mystère.
Au surplus, cela ne doit pas être précisément très facile de s’entendre d’une planète à l’autre, surtout si l’une d’elles n’est pas habitée. Et puis, que diable, cinquante-huit millions de kilomètres, ce n’est pas précisément porte à porte... (source : france-pittoresque)
Une présence bien visible !
Il fallut attendre l’avènement de la théorie de la relativité pour infirmer l’existence de Vulcain : postulée en 1860 par l’astronome et mathématicien Urbain Le Verrier, cette présence pourtant non visible constituait en effet à l’époque la seule justification des « anomalies » décelées dans le mouvement de la planète Mercure, lesquelles ne s’expliquaient pas par l’influence des autres planètes connues.
L’invention des lunettes astronomiques, invention qui ne date que du commencement du XVIIe, nous révéla l’existence d’un grand nombre d’astres absolument inconnus de nos ancêtres. Les anciens astronomes ne connaissaient qu’une seule nébuleuse, la voie lactée ; à la fin du XIXe siècle, nous étions parvenus à déterminer les positions de plus de 5000 nébuleuses et, découverte remarquable, avions pu reconnaître que ces nuages légers étaient pour la plupart formés par l’agglomération d’une quantité innombrable d’étoiles.
Les anciens astronomes ne rattachaient au système solaire que six planètes : Mercure, Vénus, la Terre, Mars, Jupiter et Saturne. Grâce aux travaux d’Herschel et de Le Verrier, deux astres nouveaux, Uranus et Neptune, prirent place parmi les satellites du Soleil. Le 13 mars 1781, l’astronome Herschel, examinant au télescope un groupe de petites étoiles situées dans la constellation des Gémeaux, observa par hasard qu’une de ces étoiles avait des dimensions inusitées. Il l’observa le lendemain et les jours suivants et reconnut qu’elle se déplaçait parmi les autres étoiles ; c’était donc un de ces astres errants nommés planètes : Herschel venait de trouver Uranus.
Vue d’artiste du processus de formation planétaire autour de l’étoile Beta Pictoris
Au cours du XIXe siècle, les astronomes découvrirent entre Mars et Jupiter de tout petits astres, dont le nombre ne cessa de croître d’année en année : dans les années 1880 on en comptait déjà près de deux cent cinquante, véritables planètes tournant autour du Soleil tout comme notre terre, et paraissant être les débris d’une grosse planète qui aurait jadis circulé dans le ciel.
A cette époque, les astronomes furent informés à plusieurs reprises de la découverte d’une neuvième grande planète, dont l’existence cependant était encore problématique. Cette planète avait déjà reçu le nom de Vulcain et serait la plus rapprochée du Soleil, plus voisine par conséquent de l’astre radieux que la Terre, Vénus et même Mercure.
On comprenait bien toute la difficulté que les astronomes éprouvaient alors à apercevoir des astres tels que Neptune ou Uranus dont les dimensions sont extrêmement faibles, à cause de leur immense éloignement ; on comprenait moins bien les difficultés qui empêchaient d’apercevoir Vulcain, s’il existait, puisque cette planète était censée être la plus voisine de notre Soleil. Mais, puisque c’était, se disait-on, précisément ce voisinage d’un astre aussi éclatant que le Soleil qui gênait l’observation ; le faible éclat d’une planète très rapprochée du Soleil disparaissait dans la lumière intense que répand cet éblouissant foyer ; aussi les astronomes recherchaient-ils surtout l’astre nouveau durant les éclipses de soleil, alors que l’éclat de celui-ci était considérablement affaibli. En vain. L’astre Vulcain n’avait toujours pas pu être observé.
Puisque Vulcain n’avait jamais été aperçu, comment s’inquiéta-t-on de son existence ? Il était loisible au premier venu d’imaginer qu’en deçà des planètes connues, ou bien au delà, ou bien encore entre ces planètes, devaient se trouver des astres non encore observés ; mais ces efforts d’imagination seraient-ils pris au sérieux par les savants ? Non sans doute, et il fallut des raisons sérieuses pour engager les astronomes à rechercher le nouvel astre. Indiquons-les succinctement.
On se rappelle comment Le Verrier trouva la planète Neptune. En étudiant dans son cabinet les mouvements de la planète Uranus, Le Verrier constata que le mouvement de cet astre dans son orbite présentait des irrégularités inexpliquées. Ce grand astronome supposa que le mouvement d’Uranus devait être influencé par la présence d’une planète inconnue et il détermina par le calcul la position qu’elle devait occuper. Cette planète n’était autre que Neptune, qui fut trouvée dans le ciel à la place même que Le Verrier lui avait assignée. Ce sont des circonstances absolument identiques qui conduisirent le même astronome à annoncer l’existence de Vulcain.
Urbain Le Verrier en tenue d’académicien
En étudiant les mouvements de la planète Mercure, Le Verrier constata des différences entre la théorie et l’observation, dont il chercha à déterminer les causes. Le Verrier reconnut que ces différences seraient absolument expliquées si l’on admettait la présence d’une ou de plusieurs planètes entre Mercure et le Soleil, et il en conclut l’existence d’une planète intramercurienne à laquelle il donna le nom de Vulcain. On se souvint alors qu’à plusieurs reprises les astronomes avaient observé le passage de petits corps obscurs sur la surface du Soleil et l’on pensa naturellement que ces corps opaques pourraient bien être la ou les planètes cherchées.
En 1859, un médecin, Lescarbault, annonça qu’il avait assisté le 26 mars de cette même année au passage sur le Soleil d’un disque noir dont le contour était parfaitement arrêté. Le Verrier se rendit immédiatement à Orgères, chez Lescarbault, pour examiner ses instruments astronomiques et recevoir des explications précises sur les détails de l’observation ; il en rapporta la conviction que cette observation était parfaitement authentique.
Le Verrier, discutant alors l’observation du docteur Lescarbault, arriva à déterminer la position de l’orbite de la planète nouvelle à laquelle il donna, nous l’avons déjà mentionné, le nom de Vulcain. Il trouva que ce corps devait circuler autour du Soleil en 19 jours et 17 heures, et, de plus, qu’il ne devait pas être seul. Pour altérer le mouvement de Mercure, il fallait supposer non pas un seul Vulcain, mais une vingtaine de petites planètes situées dans la même région. Dès lors, les astronomes furent à la recherche des planètes intramercuriennes, plusieurs observateurs déclarant les avoir retrouvées. Seule la mort de Le Verrier, en 1877, entama l’enthousiasme avec lequel les astronomes recherchaient encore Vulcain.
La théorie de la relativité générale, sans décourager certains chercheurs, apporta pourtant en 1916 l’explication tant recherchée, et expliqua les irrégularités du mouvement de Mercure en excluant la présence de la planète tant traquée. (source : france-pittoresque)
Une bien curieuse boîte !
Le général La Fayette avait rapporté en France, au retour de son voyage aux Etats-Unis, une boîte ronde formée de plusieurs pièces de bois, précieuses par les souvenirs qu’elles réveillent
Le corps de la boîte est fait d’un morceau de noyer noir, qui autrefois couvrait le sol de Philadelphie, et qui, en 1818, élevait encore ses rameaux en face de la salle où fut déclarée l’indépendance.
Voici le début de l’inscription en anglais qu’on trouve derrière : Reliques des vieux temps. Don de J. F. Watson, membre de la société de Penn, au général Lafayette, lorsqu’il était à Germantown, le 20 juillet 1825.
La suite de cette inscription nous révèle la nature des quatre parties dont le couvercle est constitué :
Gilbert du Motier, marquis de La Fayette
La première est façonnée d’une branche d’un arbre forestier, dernier survivant de ceux qui virent creuser les premières fondations de Philadelphie.
La seconde est faite d’un morceau de chêne, débris du premier pont construit, en 1683, sur la petite rivière appelée Dock-creek. Ce morceau a été retrouvé, en 1823, à environ six pieds au-dessous du sol actuel.
La troisième est tirée de l’orme célèbre sous lequel Penn fit son premier traité avec Shachamaxum. Il tomba de vétusté en 1810 ; mais un de ses rejetons s’éleva plus tard dans le jardin de l’hôpital de Philadelphie.
La quatrième rappelle des souvenirs plus anciens encore. C’est un fragment de la première maison élevée par des mains européennes sur le sol américain : c’est un morceau d’acajou de l’habitation construite et occupée, en 1496, par Christophe Colomb. (source : france-pittoresque)
Le Maire d’un village fantôme
Si ce petit village de Beaumont-en-Verdunois (Meuse) figure bien sur les cartes de France, plus personne ne vit dedans depuis la Première Guerre mondiale. Et pourtant, en 2015, elle a un représentant, Pierre Libert, âgé de 81 ans, qui gère toujours le budget...
Chaque fois que je pénètre dans Beaumont, explique Pierre Libert, je suis ému car mes ancêtres sont tous nés ici. De ce village de la Meuse, entièrement détruit pendant la première Guerre Mondiale, il ne reste que le cimetière, qui est pour moi le plus beau de France, et une petite chapelle édifiée à côté du monument aux morts.
Trois mois après la déclaration de guerre, en octobre 1914, les Allemands sont venus s’installer à une dizaine de kilomètres de notre village et y faisaient des incursions régulières, tuant des paysans. Les 185 habitants ont alors pris peur et ont déserté les lieux. Ils sont partis vers le sud de la France. L’armée française a en fait décidé de l’évacuer, tout comme huit autres communes alentours. Et plus personne ne devait venir se réinstaller ici...
À l’emplacement du village détruit s’élève depuis 1930 une chapelle devant laquelle se trouve un monument aux morts.
Après le conflit, mes parents, qui s’étaient réfugiés en Ardèche sont revenus près d’ici, à Charny, où j’habite aujourd’hui. Mais de Beaumont, il ne restait rien, sauf quelques pierres dessinant encore l’emplacement des maisons détruites et des tombes sur les hauteurs. Classée « zone rouge », il n’a jamais été reconstruit, car le sol était truffé d’obus et de munitions. Trop dangereux. En 1919, le conseil municipal se réunit et personne ne veut que le village soit rayé de la carte. Le gouvernement d’alors leur a dit : « Pour que le souvenir perdure, nous vous le laissons ! »
Je suis maire de Beaumont depuis vingt-cinq ans, poursuit Pierre Libert. Mon grand-père a été maire de 1925 à 1948, mon oncle entre 1948 et 1985 et ma mère jusqu’en 1990 avant que je prenne la relève. Mon fils est déjà prêt à prendre ma place. J’ai même une petite-fille de 18 ans qui est porte-drapeau lors des fêtes officielles, notamment lors de la cérémonie annuelle en l’honneur des morts de Beaumont-en-Verdunois, organisée le dimanche de septembre avant la Saint-Maurice, jour de la fête du village avant sa destruction…
Cette commune est celle de mes ancêtres. Lorsque je me promène, j’imagine encore les pas de mes aïeux. Puisque plus personne ne vient ici, sauf quelques touristes auxquels je sers parfois de guide, je me sens très proche de mes ancêtres quand j’arpente le site. Ce village, qui s’étend sur 878 hectares, se trouve sur une colline avec un point culminant à 369 mètres.
Aujourd’hui, la végétation a repris ses droits et il y a des bois. C’est après la guerre que l’Office national des Forêts a reboisé la région avec des arbres venus d’Allemagne !
Rue Haute du village de Beaumont avant la Première Guerre mondiale
Mon boulot ?
Assurer l’entretien du village, de la chapelle édifiée en 1933, du monument aux morts et du cimetière. Pour relier ces trois lieux, il y a une route dont les abords sont tondus cinq fois l’an pour que cela ressemble à quelque chose ! Je ne suis pas élu comme les autres maires de France, mais nommé par le préfet, et dispose d’un budget annuel d’environ 15 000 € pour frais de fonctionnement. C’est un cas tout à fait particulier dans l’histoire de France car ce village sans habitants a une vraie existence administrative. Je pense que le fait d’entretenir le souvenir de cette première Guerre Mondiale qui a fait plus de 600 000 morts est de mon devoir. On a trop tendance à tout oublier aujourd’hui... » Alicia Comet -France Dimanche
Le squelette de Berlioz à l’Opéra
Qui a connu l’histoire du squelette de Berlioz ?
Peu de personnes, assurément ; et pourtant, elle est fort curieuse. Hâtons-nous de dire qu’il ne s’agit nullement ici du propre squelette de Berlioz, lequel dort encore dans son tombeau autant qu’un squelette peut dormir, mais d’un autre, ayant appartenu à une moins illustre personnalité, et qui se trouva mêlé à sa vie par le hasard des circonstances.
Admirateur passionné de Weber, Berlioz avait pris une grande part aux répétitions du Freyschütz lors de la reprise de cet ouvrage à l’Opéra de Paris, au mois de juillet 1841. Fort soucieux de la mise en scène dans un ensemble qu’il voulait parfait, critiquant les moindres détails et poursuivant la vérité pour en atteindre l’expression absolue, il avait maintes et maintes fois signalé comme ridicule et mal rendue l’apparition du fameux squelette qui, au deuxième acte et à la scène de l’Invocation infernale, descend du haut des frises et vient s’agiter sur les planches au grand effroi des âmes naïves.
Hector Berlioz, par André Gill
Le chef d’accessoires, point partisan sans doute d’un réalisme exagéré, soutenu d’ailleurs par le régisseur qui avait en horreur les innovations, quelles qu’elles fussent, s’était simplement contenté d’un vulgaire mannequin de bois, assez grossièrement taillé, ce qui mettait Berlioz en de perpétuelles fureurs. Il n’y voyait rien moins qu’un crime de lèse-génie. Pris sans cesse à partie, le directeur — qui, croyons-nous, était alors Dupontchelle — se refusait à tout nouvel achat, alléguant les dépenses déjà faites. Berlioz, de son côté, n’était guère en mesure de fournir un squelette et, malgré son culte pour Weber, hésitait certainement à donner le sien.
La première approchait cependant, et le musicien, à bout d’expédients, allait se résoudre à laisser montrer l’odieux mannequin lorsqu’un beau jour, furetant de droite et de gauche dans le magasin du théâtre, il pensa mourir de bonheur en y dénichant un squelette, un véritable et magnifique squelette, poli, blanchi, raclé, luisant, au grand complet, sans une cassure !
Certes, il y avait de quoi s’étonner ; mais Berlioz, dans sa joie, trouva la chose toute naturelle et sans même se demander comment un objet aussi macabre et hétéroclite pouvait se trouver ainsi à l’Opéra, il courut droit chez Dupontchelle, lui conta sa découverte miraculeuse ; et le directeur, heureux de ne pas avoir à délier sa bourse, consentit le plus facilement du monde à exhiber le squelette sur la scène où tout Paris vint l’admirer. Les journaux s’en émurent, les salons en parlèrent ; la trouvaille de Berlioz devint promptement célèbre.
Mais ce mystérieux squelette si heureusement découvert devait avoir une histoire, et il était fort improbable qu’une divinité amie et bienfaisante l’eût fait pousser sous les pas de Berlioz, à seule fin de satisfaire un des caprices du musicien, quelque pardonnable que ce caprice pût être. On chercha donc dans les annales du théâtre, tout l’Opéra se passionna ; on fouilla les cartons, les dossiers, les registres ; on interrogea les souvenirs des anciens, et l’on parvint ainsi peu à peu à reconstituer une aventure assez lointaine et fort tragique qui s’était jadis déroulée au théâtre même.
Parmi les élèves surnuméraires à l’école de chorégraphie qui fréquentaient les classes de l’Opéra, en 1786, se trouvait un jeune homme de dix-huit ans, nommé Boismaison. Danseur assez médiocre, il préférait aux entrechats et petits pas la compagnie d’une jeune ballerine, Nanine Dorival, élève comme lui au cours de danse, et fille de l’ouvreuse attachée spécialement à la loge du comte d’Artois.
Rien ne serait venu troubler leurs tranquilles amours, pas même leurs camarades, peu jaloux de leur bonheur, si la belle ne s’était avisée un jour de penser que Boismaison était bien maigre, bien petit et bien chétif pour une aussi jolie personne, et qu’elle devait à son honneur de chercher un soupirant plus digne d’elle. Le soupirant ne tarda guère à se présenter. Il avait six pieds de haut, des moustaches grandioses, un habit bleu ciel et une épée à baudrier d’or. Il se nommait Mazurier, sergent-major aux gardes françaises, et commandait les soixante hommes du poste de l’Opéra.
Il ne fallut pas longtemps à Boismaison pour s’apercevoir de son soudain discrédit et du triomphe de son imposant rival. Aigri par les plaisanteries continuelles de ses amis, exaspéré du dédain trop catégorique de son amante, il résolut de supprimer le brillant sergent-major. Un soir, après le spectacle, il l’attendit rue Saint-Nicaise, à la sortie du théâtre, et le provoqua en duel.
Mazurier, rempli d’une pitié insultante, ne voulut pas même dégainer. Mais, comme l’autre le menaçait de plus en plus, il ordonna à trois de ses hommes d’ôter les bretelles de leurs fusils et d’attacher solidement le jeune danseur, après l’avoir quelque peu fouetté. Les gardes le portèrent ensuite, tout garrotté et pleurant de rage, sous le porche même du théâtre et l’y laissèrent toute la nuit.
Délivré au petit jour par Deméru, le portier, qui s’empressa de raconter à tous ce qu’il appelait une plaisanterie réjouissante, le jeune homme rentra chez lui, toussant et grelottant de fièvre. A la pensée des quolibets dont ses camarades, sans pitié, allaient saluer le récit de son aventure, son mal ne fit qu’empirer. Le lendemain, il mourait en délire.
Dans un étrange testament rédigé en toute hâte qui fut ouvert après sa mort, il déclarait pardonner à Nanine sa trahison et son amour brisé. On trouva en outre, dans un codicille, qu’il léguait son avoir à un sieur Lamoiran, médecin du théâtre, à la condition que son squelette ajusté et préparé serait conservé à jamais dans le magasin des accessoires. Il voulait ainsi, disait-il, « demeurer, même trépassé, près des lieux qu’habitait l’aimée de son cœur ».
Si la belle danseuse ne fut pas, paraît-il, fort sensible à cet hommage touchant et posthume, l’honnête médecin accepta le don avec reconnaissance et exécuta fidèlement la dernière volonté du mort. Malgré les changements de direction, les incendies et les déménagements, passant successivement de la rue Saint-Nicaise à la Porte-Saint-Martin, et de la rue Richelieu à la rue Le Peletier, le squelette du malheureux Boismaison faisait partie de l’Opéra depuis plus d’un demi-siècle, oublié et perdu au fond d’un coin, lorsque Berlioz vint le tirer de son long repos.
La vie du théâtre recommença pour lui ; après les représentations du Freyschütz, il retourna au magasin d’accessoires ; mais, lors de l’installation du nouvel Opéra, il fut vendu avec les anciens décors et les vieilleries que la grandeur et le luxe des nouvelles coulisses rendaient inutiles. Cependant, sa trace ne fut pas perdue. Un marchand de couleurs, établi rue Visconti, M. Calteaux-Bargue, s’en rendit acquéreur, sans soupçonner peut-être sa curieuse origine et les longs souvenirs qui s’y rattachaient. Il le vendit bientôt d’ailleurs au peintre Frédéric Chevallier.
Et maintenant, après tant de misères, d’aventures et de tribulations, pourquoi le pauvre squelette ne pourrait-il pas trouver place au musée de l’Opéra ? (source : france-pittoresque)
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